viernes, 2 de febrero de 2024

FABULA TOGATA

 Le plateau est vide, le plateau du petit théâtre est petit, plus petit qu'il ne devrait logiquement l'être si l'on regarde le bâtiment de l'extérieur, mais le bâtiment n'est pas non plus destiné à être un théâtre. Avant d'être abandonné et désaffecté, le théâtre était une usine de meubles, peut-être devrait-on dire une petite usine de petits meubles comme des chaises et des bancs, mais peut-être fabriquait-on aussi des tables et des armoires ou des lits à baldaquin. Personne ne sait ce qu'on y faisait car lorsqu'un "théâtreux", un homme, l’a visité, il était abandonné et le visiteur s’est dit qu'avec l'aide du maire, une compagnie de théâtre permanente pourrait y être installée et le maire a pris des dispositions pour que le propriétaire le loue pour un prix symbolique à la compagnie, le pavillon industriel se composait de quatre murs solides, d'un toit moins solide, de portes et fenêtres placées de manière incohérente sur les quatre façades et de nombreuses entrées et sorties d'air et d'eau par toute sa peau.

Aujourd'hui, le théâtre est vide lorsqu'Imanol Hiruntchiverry arrive, après être entré par la porte principale et s'être dirigé vers le plateau, sans trébucher sur les décors et le matériel d'éclairage posé ou abandonné dans le couloir. Imanol est arrivé devant les cadres électriques et en a allumé quelques lumières, a éteint celui qui surveillait le fantôme de Molière et a constaté que le sol était suffisamment propre pour que les acteurs puissent répéter pieds nus.

Les chaises sont empilées contre le mur d’un côté, à droite vue du public, côté cour pour la troupe. Imanol prend une chaise, la place au centre et s'assoit avec les photocopies des textes à la main. Sur chaque photocopie le nom d'un personnage est souligné. Il n'a pas pensé à la distribution, son idée est de diffuser ces premiers scripts au fur et à mesure qu'ils arrivent. Ainsi, lorsque les deux premières actrices entrent ensemble, il distribue celles qui correspondent à Livia et Cornelia. Livia est originaire de Guinée, là-bas elle a nourri 15 personnes de sa famille avec son travail, elle a traversé son pays, le Mali, l'Algérie, la Tunisie, l'Italie... elle ne parle jamais de son parcours. Cornelia est venue du Cameroun en passant par le Tchad, la Libye, l'Italie... Entre elles, elles parlent couramment le français, parfois à fort volume et avec des intonations mélodiques.

- On y est presque, comment vas-tu ? - dit Cornelia à Livia, après avoir salué Imanol avec deux baisers -.

- Mon genou me gêne un peu mais ça peut être supporté... - Livia se masse le genou droit - Ces fils de pute n'attendaient pas ! Et puis ils restent à l'entrée en train de fumer un joint pour récupérer de l'effort.

  - Ils n'allaient pas te transporter sur une civière et tu n'es pas pour appeler une ambulance.

- Un peu de soutien moral, au moins mais... Que peut-on attendre des hommes ? - Livia continue de protester -.

- Le tien voulait appeler le 112 et tu lui as dit que non, que tout allait bien.

- Et tout va bien, un coup, une déchirure au pantalon et une petite coupure mais il n'est pas resté pour me tenir compagnie.

Imanol pense que ces gens qui ont survécu aux traversées des jungles, des déserts, des ports de navigation dangereux, aux vagues de la Méditerranée, aux sentiers à peine praticables des Alpes... ces gens perdent l'armure qui les a fait résister à la soif, à la faim, à la fatigue, maladies, coups, blessures, viols, traitements dégradants, etc., une fois arrivés à leur objectif, ils sont désormais devenus des citoyens normaux qui trébuchent sur un nid-de-poule sur un trottoir urbain.

Aurelia, Agrippine, Placidia et Lucrecia arrivent avant que Catulle décide qu'il est temps d'entrer et entre lorsque plus d'une heure s'est écoulée depuis l'heure de rendez-vous qu'Imanol leur avait fixée.



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